Posted on 31 July 2013
L’Eurafrique et le plan de Constantine de Charles de Gaulle – L’Algérie et les Communautés européennes 1958-1962
Que signifient l'Eurafrique et le plan de Constantine ?
La notion d'Eurafrique est apparue dans les années 1920 - c'était une façon de penser l'Europe et l'Afrique comme une unité culturelle commune. Même si le terme lui-même date des années 1920, il se fait l'écho des idées sur le mariage entre l'Orient et l'Occident qui avait circulé depuis le 19e siècle en France.
Pendant la guerre froide cela est devenu un concept stratégique très important. Les Français y voyaient un moyen de garder l'Algérie hors du communisme ou de mains extrémistes. Il y eut donc une renaissance du concept et il devint de plus en plus central dans les débats économiques et politiques.
L'Algérie, qui n'était pas proprement dit une colonie française, mais représentait trois départements français, est devenue assez logiquement l'élément central de cette Eurafrique compte tenu de sa position géographique et juridique.
Une fois la guerre d'Algérie commencée en 1954, les Français s'inquiétèrent de la façon de maintenir l'Algérie dans l’espace eurafricain. En 1958, le Président français de Gaulle a lancé le plan de Constantine, qui était une manière de développer l’économie de l’Algérie avec de massifs investissements provenant de la métropole. Le dernier but était de garder l'Algérie dans une configuration eurafricaine sous une forme ou une autre - même si il était clair dès le début que le résultat pourrait ne pas être l'Algérie française, mais une certaine forme d'association ou l'intégration économique entre les deux territoires.
Quel était le lien entre l'Algérie et la création des Communautés européennes ?
L'Algérie semblait lointaine pour ceux qui voyaient la Méditerranée comme un obstacle. Durant cette période, la Méditerranée était perçue beaucoup plus comme un lien, l'Algérie étant une colonie avec un million d'Européens - dont certains avaient vécu là depuis plusieurs générations.
Psychologiquement l’Algérie était donc très proche de la métropole, et il y avait énormément d'échanges entre la France et l'Algérie du point de vue militaire, de l'immigration et autres formes de collaboration.
Comme l'Algérie était pratiquement française, elle a été incluse dans le traité de Rome. Ce qui est devenu gênant pour les Français par la suite quand la décolonisation a commencé. Le Marché commun a été mis en place en 1958 date à laquelle le plan de Constantine a été dévoilé. Une partie de la stratégie du développement de l'Algérie servait à la rendre compétitive dans ce nouvel espace économique. Les colons prirent conscience trop tard que si l’Algérie rentrait dans ce circuit économique ouvert et libéral, le pacte colonial de protection et subvention pour certaines industries ne serait plus viable.
Quel a été le rôle spécifique de la France ?
La France a fait en sorte que sa participation aux négociations sur le Marché commun dépende du fait que ses intérêts coloniaux soient pris en compte. En ce qui concerne l'Algérie, l'article 227 du traité de Rome signifiait que tant que le territoire était membre de la Communauté des Six, il était seulement soumis à certaines clauses du traité. Par exemple, les questions traitant des travailleurs migrants ou du bien-être social auraient continué à être discutées. Mais au cours des négociations du traité de Rome et la création de la Communauté économique européenne, la France a insisté pour que leurs anciennes possessions coloniales soient incluses.
De quelle façon la décolonisation a-t-elle changé les perspectives et les réalités?
La décolonisation était difficile pour la France, car elle a eu lieu entre le processus d’émancipation des colonies et l'intégration européenne. Elle a été particulièrement coincée entre les engagements qu'elle avait pris dans les accords d'Evian, qui ont donné l’indépendance à l’Algérie et lui ont proposé un traitement préférentiel, et les nouvelles négociations multilatérales telles que le GATT, qui étaient contre le protectionnisme et les barrières commerciales.
Après 1962, les notions d'association et d'intégration ont donné lieu à une coopération. La France avait envoyé une grande quantité de jeunes cadres en Algérie pour occuper différents postes. Suite au départ de la population européenne il y eut un manque de personnes qualifiées pour enseigner, conduire les fermes, etc. En bref, les Algériens avaient besoin de formation technique afin de gérer leur propre Etat.
Le passage de l'intégration à la coopération a été souvent pris en charge par le régime algérien lui-même en dépit de la rhétorique du tiers-monde. Le pays devait faire face à de réels problèmes logistiques et pendant que des leaders tels que Ben Bella tenait un discours sur la résistance et la révolution, le régime a tenu à poursuivre les négociations avec la CEE et à avoir des experts français aidant à construire le nouvel Etat.
Il existait donc certainement quelques ambiguïtés idéologiques autour de la décolonisation.
Quel a été le cadre de la coopération au développement par les Communautés européennes avec l'Algérie ?
Quand la convention de Lomé a été signée de nouvelles dispositions pour l’association ont été prises sous le traité de Rome pour les anciens territoires d'outre-mer. À un certain moment chaque pays a discuté les tarifs pour l’importation, en particulier avec l'Algérie. Alors que la France a toujours été l'interlocuteur privilégié et le principal marché pour les exportations algériennes, des relations très spécifiques existaient avec les différents pays. Le gouvernement italien était moins enthousiaste de voir arriver l'huile d'olive ou le vin algérien en Europe parce qu'il était lui-même intéressé à l'exportation de ces produits.
La relation entre l'Algérie et les Communautés européennes a changé clairement avec la nationalisation du pétrole en 1971. Seulement sept ans plus tôt, le gouvernement français avait interdit les importations de vin sous la pression politique des viticulteurs en métropole. Telles étaient les principales matières d'exportation qui jusque-là avaient cimenté les relations économiques entre l'Algérie et la France. Les années 1970, qui représentent une nette séparation économique entre l'Algérie et la France sous la présidence de Boumediene, marquent le début de la fin de la coopération au développement.
Cette rupture a été particulièrement visible depuis les années 1960. Un certain nombre d'économistes français ont été très impliqués dans la décolonisation et ont donné des conseils pour l’indépendance du nouvel Etat algérien. Des gens comme François Perroux et René Dumont étaient actifs dans le cadre de l'élaboration de la politique du développement et de l’espace économique transnational. C’était une évolution dans le cadre du développement. Il ne s’agissait plus d’un cadre franco-algérien, mais plutôt d’une configuration régionale. Cela avait un sens parce que les coûts de la guerre d'Algérie étaient énormes et la France cherchait à voir comment ces coûts auraient pu être pris en charge sous la responsabilité européenne plutôt que de peser complètement sur la France.
Quel est l'héritage de l'Eurafrique, du plan de Constantine et de la coopération au développement euro-algérien ?
Ma thèse porte sur les continuités entre la période coloniale et postcoloniale. Il y avait un grand nombre de similitudes concernant les conceptions et les pratiques de développement, par exemple en termes de modernisation de l'agriculture. Par ailleurs, grand nombre des mêmes organismes créés dans le cadre du plan de Constantine ont continué à fonctionner après 1962.
Il s’agit là de la position d'un historien : après avoir parlé avec des Algériens, je dirais que dans la conscience populaire le fait que le plan de Constantine ne fut pas seulement une entreprise coloniale, qui prit fin en 1962, était vraiment révolutionnaire. Les continuités dont je parlais - y compris le fait qu'il y avait aussi de nombreuses personnes de l'administration coloniale qui ont servi en tant qu'experts dans la période postcoloniale - semblent souvent antithétiques à la forte conscience nationaliste qui existe en Algérie. Ce sont ces moments historiques de malaise qui m’intéressent outre les évènements économiques des Communautés européennes et de l'Algérie, qui sont également d'intérêt.
En 2007, le Président français Sarkozy s’est réapproprié du terme Eurafrique, ce qui a provoqué de nombreux débats houleux. Le terme avait été largement utilisé pour disparaître après les années 1970 - même s'il y avait eu diverses initiatives concernant la coopération en Méditerranée, en termes d'économie et d'immigration. L’utilisation très emphatique de l'Eurafrique a été vue avec beaucoup de scepticisme. Ce qui est naturel car, alors que l’Eurafrique représente un concept colonial, ce terme a indiqué un espoir d'amélioration pour la vie de certaines personnes dans les années 1950 et 1960 – bien que cette vision était équivoque. Personnellement, je ne suis pas certaine que l'appropriation de ce concept par Sarkozy ait été une véritable tentative de repenser l'héritage colonial. Toutefois cela n'a pas ramené le terme Eurafrique sous les projecteurs du débat politique.
Au cours des dernières années il y a eu beaucoup d'espoirs sur un rapprochement entre l'Algérie et l'Union européenne - que ce soit en termes de migration, d’opportunités du travail ou des interventions militaires comme lors de la crise au Mali. L’Algérie aurait pu ne pas être la plus enthousiaste, mais elle aurait été certainement un partenaire actif de l'Union européenne. Maintenant, vu la crise politique autour de la succession du Président Abdelaziz Bouteflika, il est difficile de faire des prévisions pour l'avenir de l'Algérie, mais je ne vois aucune raison de présager un changement radical en cours.