Posted on 16 June 2014
Une recherche récente dans des fonds inexplorés aux Archives historiques de l'Union européenne (AHUE) à Florence met en lumière les principaux acteurs de la construction du régime européen de migrations vers l'Europe de la «libre circulation» d'aujourd'hui.
Emmanuel Comte, docteur de l'Université Paris-Sorbonne, a rédigé sa thèse de doctorat sur « La formation du régime européen de migrations, de 1947 à 1992 » sous la direction du professeur Eric Bussière. Il met en évidence la façon dont le régime européen de migrations constitue un équilibre international singulier qui d'une part démontre une certaine ouverture et permet l’exportation des droits de sécurité sociale en Europe, mais qui d’autre part se caractérise par la fermeture aux flux non européens. Caractéristique du régime européen de migrations est également l'importance des débats publics suscités, la question migratoire étant en permanence à l'ordre du jour des négociations entre les gouvernements européens depuis l'institutionnalisation de ces négociations en 1947.
Emmanuel Comte explique que la formation du régime européen de migrations est restée peu étudiée et mal expliquée. Une meilleure compréhension des rôles joués par les principaux Etats d'immigration dans la formation du régime fait, selon le chercheur, défaut. En particulier, la stratégie allemande, essentielle dans la compréhension de la formation du régime européen de migrations, est restée largement méconnue.
De ce point de vue l'étude des fonds aux Archives historiques de l'Union européenne à Florence s'est avérée d'une grande valeur. Emmanuel Comte a également consulté de nombreux fonds d’archives d’autres organisations internationales.
La thèse relate les cinq étapes de la formation du régime européen de migrations de 1947 à 1992.
Le régime de migrations qui prévalait en Europe de l’Ouest vers 1947 était semblable à ce qu'il avait été durant l’Entre-deux-guerres. La bureaucratie inhérente au régime ainsi que le révisionnisme allemand et italien conduisaient à sa remise en cause. Une fracture migratoire subsista longtemps entre les Etats d'Europe de l'Ouest : alors que le régime de migration en Europe du Nord-Ouest s’assouplit tôt, la République fédérale d'Allemagne (RFA) et les pays méditerranéens en Europe restaient exclus de ce régime de migrations plus ouvert. La RFA favorisa la formation d'un nouveau régime de migrations en Europe de l’Ouest, qui serait fondé sur le principe de la libre circulation des personnes. Cependant, à cette période, la RFA n'avait pas les ressources pour transformer le régime européen de migrations.
De 1955 au milieu des années 1960, la RFA conduisit les transformations vers un nouveau régime, excluant les personnes en provenance des colonies et réservant les opportunités migratoires aux populations européennes.
A partir du milieu des années 1960, les préférences de la RFA continuèrent à prévaloir, sauf dans le domaine des migration de travailleurs indépendants, où la plus grande importance des ressources de la France se traduisit par la persistance d'un régime de fermeture.
Les préférences des principaux acteurs changèrent à partir de 1973 avec l'évolution des contextes démographiques, économiques et migratoires. La baisse de la demande sur les marchés des biens et services conduisit à une baisse de la demande de main-d'œuvre. Le ralentissement économique provoqua la fermeture migratoire et l’impasse dans les négociations entre les Etats européens. Un régime européen unifié se développa seulement au cours de cette période pour réduire la pression migratoire en provenance des pays arabes et africains.
Ce fut entre 1984 environ et 1992 que le nouveau régime fut finalement achevé. La coopération reprit avec le projet germano-britannique du marché unique. Le projet allemand de supprimer les contrôles de personnes aux frontières internes pour assurer un meilleur trafic intracommunautaire transfrontalier et favoriser les exportations allemandes vers l'Europe fut soutenu par la France dans le cadre Schengen afin de briser la coalition germano-britannique. La contrepartie demandée par la France à la suppression des contrôles aux frontières intérieures fut un engagement à une politique migratoire ferme aux frontières extérieures ; la France rechercha également un engagement à une monnaie unique européenne en échange plus globalement du marché unique.
Emmanuel Comte conclut que la formation du régime européen de migrations entre 1947 et 1992 fut largement conduite par la République fédérale d'Allemagne. La politique d'immigration française n’influença qu’à la marge les lignes directrices du régime. Le régime sanctionnait une répartition des gains liés à la migration en conformité avec les intérêts des pays d'immigration. L’immigration ne devait pas conduire à des baisses de salaires et à des dépenses sociales, elle devait rester plus difficile dans le domaine des professions indépendantes.
L'étude basée sur les documents d'archives permet le développement d’une nouvelle théorie des régimes de migrations ouverts, qui définit les conditions favorables et les facteurs conduisant un Etat à soutenir ces régimes. Selon les résultats de la recherche, la condition la plus importante est qu’un régime de migrations plus ouvert dans une zone géographique donnée ne provoque pas une augmentation de l'offre de main-d'œuvre dans les pays d'immigration qui dépasse l’augmentation de la demande. Une deuxième condition favorable est une situation de direction hégémonique. L’importance des ressources à la disposition de la puissance hégémonique lui permet de maintenir le régime.
Au-delà de ces conditions favorables, les facteurs déterminants dans la formation d'un régime de migrations ouvert sont la volonté de la puissance hégémonique d’assurer la stabilité politique dans la région couverte par le régime et sa volonté de l'unifier vis-à-vis d’une puissance extérieure. La volonté de la puissance hégémonique d'ouvrir les marchés des pays concernés par le régime à ses entreprises est également un facteur dans la formation d'un régime de migrations ouvert, car un tel régime favorise les mouvements du personnel de direction et des indépendants qualifiés.
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