Posted on 19 November 2020
Gabriel Godeffroy, doctorant en histoire des relations internationales à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, a passé un mois en séjour de recherche aux Archives historiques de l’Union européenne (AHUE) en tant que boursier Vibeke Sørensen. Son projet de doctorat, dirigé par Catherine Horel, directrice de recherche au CNRS, examine les idées et le réseau de l’économiste hongrois Elemér Hantos (1880-1942). Dans cet entretien, Gabriel Godeffroy nous en dit plus sur son projet de doctorat et son séjour de recherche aux AHUE.
Comment vous est venue l’idée de ce sujet de recherche ?
Au départ, je voulais étudier le mouvement paneuropéen de Richard Coudenhove-Kalergi. On m’avait enseigné que l’histoire de l’intégration européenne commençait en 1945 et j’étais curieux d’en savoir plus sur sa préhistoire. Lorsque j’ai rencontré le professeur Éric Bussière, il m’a conseillé de me pencher sur l’intégration de l’Europe centrale et sur les approches régionales de l’intégration paneuropéenne, dans la mesure où plusieurs monographies avaient déjà été publiées sur Richard Coudenhove-Kalergi et son mouvement paneuropéen. Dans ce contexte, il m’a donné trois noms : Elemér Hantos, Richard Riedl et Gustav Gratz. Parce qu’Elemér Hantos était également impliqué dans le mouvement paneuropéen, j’ai décidé de me pencher sur sa vie, même si je n’étais encore jamais allé en Hongrie auparavant et que je ne connaissais pas la langue. C’est ainsi que j’ai trouvé mon sujet de recherche actuel. J’ai commencé à travailler sur la vie et les idées d’Elemér Hantos pendant mes études de master à l’Université Paris-Sorbonne (Paris 4). Plus tard, dans le cadre de mes études de master en Affaires européennes à Sciences Po Paris, j’ai comparé les idées pan-européennes d’Elemér Hantos à celles de Richard Coudenhove-Kalergi et de Jean Monnet. Aujourd'hui, j’écris ma thèse de doctorat sur les idées et les réseaux centre-européens d'Europe centrale et paneuropéenne d'Elemér Hantos pendant l'entre-deux-guerres.
Qu’attendiez-vous de votre séjour de recherche aux AHUE ?
J’ai postulé à la bourse Vibeke Sørensen parce que je voulais consulter une série de photocopies des archives paneuropéennes disponibles aux AHUE. Les documents originaux des archives paneuropéennes sont actuellement conservés aux Archives militaires de l’État de Russie à Moscou. Seuls quelques chercheurs ont étudié les archives paneuropéennes aux archives militaires russes. J’ai prévu d’aller à Moscou, mais mon séjour de recherche est en stand-by en raison de la crise sanitaire actuelle.
L’histoire des archives de l’Union paneuropéenne est assez intéressante. Le quartier général du mouvement paneuropéen se trouvait à Vienne et, lorsque l’Autriche fut annexée à l’Allemagne nazie en 1938, Richard Coudenhove-Kalergi dut fuir et laissa presque tout derrière lui. Les archives paneuropéennes furent ensuite volées par des responsables de l’Allemagne nazie et apportées à Berlin, où elles furent conservées au siège de la Gestapo. Lorsque Richard Coudenhove-Kalergi mourut en 1972, il pensait que ces archives avaient été détruites après l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie. Mais en fait, lorsque l’Armée rouge libéra Berlin en 1945, les archives paneuropéennes furent transférées à Moscou. Les archives du mouvement paneuropéen furent cependant redécouvertes à la fin des années 1980 lorsque l’Union soviétique commençait à s’ouvrir à l’Ouest.
Après avoir lu l’inventaire, je savais que j’allais trouver une correspondance entre Elemér Hantos et Richard Coudenhove-Kalergi, mais je ne m’attendais pas à trouver beaucoup plus. Étant donné que les archives paneuropéennes sont composées d’environ 1830 dossiers et considérant que l’on ne peut consulter que 100 dossiers en un mois de travail aux Archives militaires de l’État de Russie, j’ai voulu parcourir les photocopies des archives paneuropéennes disponibles aux AHUE afin de préparer mon séjour de recherche aux Archives militaires russes. De même, je vais aussi visiter les Archives cantonales vaudoises qui possèdent également une série de photocopies des archives paneuropéennes.
Dans quelle mesure la réalité a-t-elle répondu à vos attentes ?
J’ai trouvé plus de documents intéressants que prévu. Plus précisément, j’ai trouvé environ 20 lettres de correspondance entre Richard Coudenhove-Kalergi et différentes personnalités centre-européennes, telles qu’Elemér Hantos, Pál Auer, le responsable de la section hongroise de l’Union paneuropéenne, et Friedrich Nelböck, un membre du conseil d’administration de la section locale de Brno de l’Union paneuropéenne. Ces lettres sont très importantes pour comprendre la relation entre le mouvement centre-européen d’Elemér Hantos et le mouvement paneuropéen de Richard Coudenhove-Kalergi.
Pourquoi est-il pertinent, socialement et académiquement, d’étudier les approches régionales de l’intégration pan-européenne ?
Le but de ma thèse de doctorat sur Elemér Hantos en tant que lien entre les idées et les réseaux centre-européens et paneuropéens pendant l’entre-deux-guerres est de combler un vide historiographique. Elemér Hantos n’a pas encore fait l’objet d’une étude scientifique exhaustive. De plus, la relation entre Mitteleuropa et Paneuropa n’a été abordée que marginalement dans les monographies sur le mouvement paneuropéen, principalement à travers le prisme de la politique étrangère de la République de Weimar et de l’expansionnisme économique et politique du Troisième Reich, et non de la perspective des États successeurs de l’Autriche-Hongrie.
Cependant, mon projet de recherche est également intéressant car il résonne avec les défis actuels de l’Union européenne (UE). L’étude des idées centre-européennes et paneuropéenne d’Elemér Hantos pourrait être utile pour mieux comprendre la spécificité et le rôle des pays de l’Europe centrale (en particulier les États membres du groupe de Visegrád, mais aussi l’Autriche) au sein de l’UE. De plus, le nombre croissant d’États membres de l’UE et leurs différents points de vue ont renforcé la voie vers une « Europe à plusieurs vitesses ». Dans ce contexte, l’approche régionale de l’intégration paneuropéenne d’Elemér Hantos pourrait faire émerger de nouvelles idées sur le développement futur de l’UE.
En outre, l’UE traverse une crise existentielle depuis le début des années 1990 (avec la fin du « consensus permissif » et l’effondrement de l’Union soviétique) qui culmine avec les négociations interminables sur le Brexit. Explorer les origines du processus d’intégration européenne (y compris les efforts d’unification paneuropéenne dans l’entre-deux-guerres) pourrait aider les États membres de l’UE à redéfinir leur place dans les relations internationales.
Gabriel Godeffroy présentera les résultats de ses recherches aux AHUE en tant que boursier Vibeke Sørensen lors du prochain séminaire ADGRC, le 9 décembre 2020, de 15h00 à 16h30, sur Zoom.
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